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Depuis quelques années, le concept de Web3 émerge avec l’idée d’un Web plus décentralisé et axé sur la propriété numérique. Cet écosystème se développe dynamiquement, et permet aux utilisateurs de posséder véritablement des actifs numériques tels que des crypto-monnaies, des tokens ou encore des NFTs. De nouvelles formes d’applications voient le jour, exploitant ces actifs dans divers secteurs d’activité.
Les noms de domaine tels que nous les connaissons jouent un rôle central dans les interactions numériques, tant pour l’accessibilité des contenus que pour l’identité en ligne. Le DNS (Domain Name System) est le service de référence depuis plus de 30 ans pour maintenir ces registres de noms, en proposant un système universel, distribué dans le monde et régulé par l’ICANN.
Comme pour le Web à ses débuts, le Web3 a besoin de systèmes de nommage afin de faciliter l’interaction avec des identifiants techniques difficilement lisibles, comme des adresses cryptographiques. C’est de ce besoin que sont nés les systèmes de noms basés sur Blockchain, aussi appelés “noms de domaine Web3”. Ces technologies sont généralement comparées au DNS, en mettant en avant une décentralisation plus importante et une gestion renforcée de l’identité. Cependant, ces identifiants Web3 ont un fonctionnement bien différent du DNS, en évoluant sur un réseau décentralisé.
Cet article a pour objectif de présenter les évolutions de ce secteur depuis notre dernier article publié en 2022.
Le marché évolue
Le marché des noms de domaine Web3 est dominé par deux acteurs principaux, Ethereum Name Service et Unstoppable Domains, qui opèrent sur des stratégies de développement différentes. D’autres projets tentent également de s’implanter, comme 3DNS ou D3, en utilisant la tokenisation de noms de domaine pour créer un marché d’échange plus liquide.
Ethereum Name Service
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Ethereum Name Service (ENS) est un protocole open-source basé sur la Blockchain Ethereum et détenu par une DAO (Organisation Décentralisée Autonome) à but non lucratif.
Connu pour ses noms de domaine .eth, ENS permet également l’import de noms de domaine traditionnels (.fr, .com, .net, …) sur Ethereum afin de les utiliser pour y associer des adresses de portefeuilles, de sites web ou d’applications décentralisées ; nous y reviendrons plus loin dans cet article. ENS compte plus de 1,7 million de noms actifs fin 2024, avec plus de 850 000 titulaires différents.
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Un pic d’activité a été enregistré en 2022, principalement dû à l’engouement autour des NFT et du metaverse, qui a mis en avant l’écosystème Ethereum et notamment favorisé la spéculation autour des noms de domaine NFT ; les noms courts et premiums ont tous été enregistrés, de manière à former des collections diverses et variées.
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La valorisation du token ENS, qui est utilisé dans la gouvernance et la prise de décision du protocole, atteint plus de 1,2 milliard de dollars en janvier 2025. Les revenus de 2024 liés à l’enregistrement et le renouvellement des noms dépassent les 62 millions de dollars.
La recherche et le développement sont actifs, avec l’ajout de nouvelles fonctionnalités dans une prochaine version du protocole. Nous n’entrerons pas dans les détails techniques, mais vous pouvez parcourir leur road map publiée récemment. Nous pouvons également noter que ENS noue de nombreux partenariats pour développer l’utilisation de leurs noms de domaine (GoDaddy, PayPal, Ubisoft, …).
Unstoppable Domains
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Unstoppable Domains (UD) est une entreprise américaine soutenue par des fonds de capital-risque.
Elle a récemment été accréditée par l’ICANN en tant que registrar, devenant ainsi un acteur proposant à la fois des noms de domaine traditionnels (.com, .org, .io, etc.) et des noms de domaine Web3 (.wallet, .blockchain, .crypto, etc.) sur la blockchain Polygon.
Les noms de domaine Web3 de UD n’expirent pas et sont donc enregistrés “pour toujours”, contrairement aux .eth d’ENS. Avec plusieurs extensions, UD comptabilise plus de 4 millions de noms actifs et plus d’un million de titulaires différents.
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L’entreprise prévoit de se positionner comme une passerelle vers le Web3, notamment avec la participation au prochain round de l’ICANN, afin d’obtenir une ou plusieurs nouvelles extensions (TLD). Le dépôt de plusieurs brevets confirme cette stratégie ; nous verrons certainement à l’avenir de nouvelles extensions fonctionnant à la fois avec le DNS et des Blockchains.
Les Real World Assets
De nouveaux acteurs se développent avec une approche centrée sur les Real World Assets, c’est-à-dire la tokenisation d’actifs réels sur Blockchain. Leur objectif n’est pas de créer un nouveau système de nommage, mais d’importer des noms de domaine traditionnels sur une Blockchain en les représentant sous forme de token, en l’occurrence non-fongible. Ce token représente ainsi la titularité d’un nom de domaine, et peut être échangé en pair à pair sur des places de marché (OpenSea, Vision, …), du moment que le bureau d’enregistrement le reconnaît.
Au-delà des problématiques techniques d’authentification et de gestion du cycle de vie de ces actifs, cela pose également des questions d’ordre juridique et légal. La liquidité des noms de domaine est facilitée, mais qu’en est-il du token en cas de changement de bureau d’enregistrement ou de procédure de résolution des litiges telle que la procédure UDRP ?
Sur ce secteur, nous avons recensé quelques acteurs :
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- 3DNS : c’est un service de gestion de noms de domaine pour le Web3, offrant des services de résolution DNS et Blockchain.
Il propose une compatibilité avec plusieurs Blockchains grâce à l’utilisation du protocole sous-jacent ENS. Détenu par l’entreprise Intercap inc. et partenaire avec le registrar Namesilo, 3DNS est accrédité par l’ICANN et propose le TLD .box, revendiquée comme « première extension officielle du Web3 ». 3DNS est candidat pour obtenir les extensions .chain et .super lors du prochain round de l’ICANN.
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D3 propose actuellement des noms de domaine Web3 avec des extensions personnalisées (.ape, .shib, .core, etc.) mais a l’ambition de les soumettre au prochain round de l’ICANN pour qu’elles fonctionnent sur le DNS. L’entreprise a noué plusieurs collaborations avec des acteurs leaders dans l’industrie des noms de domaine et du Web3 (Identity Digital, Near Protocol, Gate).
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- NameFi : c’est une plateforme permettant la tokenisation de noms de domaine DNS sur la blockchain Ethereum, en les représentant sous forme de tokens non-fongibles (NFT).
Les utilisateurs peuvent enregistrer des domaines directement via l’interface de NameFi, sans intermédiaire centralisé. NameFi travaille avec des registrars et revendeurs de noms de domaine qui reconnaissent ces tokens comme des titres de propriétés.
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- GBM domains : propose un modèle d’enchères sur Blockchain Base pour l’enregistrement et la gestion des noms de domaine Web3.
Les utilisateurs peuvent enchérir sur des domaines en utilisant des tokens, avec un mécanisme de partage de valeur où une partie des revenus générés par les enchères est redistribuée aux participants. Le NFT reçu suite aux enchères fait foi pour le nom de domaine correspondant, qui est distribué par le registrar Dynadot.
Ces services sont récents et ont aujourd’hui seulement quelques milliers de noms enregistrés. Leur vocation est de pouvoir utiliser des noms de domaine traditionnels dans un écosystème Blockchain, tout en apportant de la liquidité et de la rapidité dans les transferts, en favorisant in-fine une spéculation.
D’autres systèmes de nommage alternatifs
Depuis des années, d’innombrables projets de nommage décentralisés et alternatifs ont vu le jour. Certains disparaissent, et d’autres continuent à évoluer dans l’ombre. Dans cet article, nous nous limitons aux acteurs principaux ainsi qu’aux nouvelles tendances.
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L’interopérabilité entre le Web2 et le Web3
L’interopérabilité entre le Web2 et le Web3 est essentielle pour favoriser l’adoption des Blockchains tout en tirant parti des infrastructures établies. L’objectif principal est de permettre une cohabitation efficace entre les systèmes existants et les applications décentralisées, en garantissant une bonne expérience utilisateur. Il existe néanmoins de nombreux défis techniques liés à cette convergence.
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La résolution des noms
Les systèmes de nommage Web3 associent des noms avec des informations comme des identifiants de blockchain dans un registre sur une Blockchain. Pour effectuer une résolution, il faut donc interroger ce registre en communiquant avec un nœud de la Blockchain en question. Pour cela, il faut soit mettre en place un nœud, ce qui demande des compétences techniques et des ressources, soit interroger des fournisseurs de service tiers. De plus, la résolution doit se faire via l’utilisation d’outils dédiés comme des extensions de navigateurs ou des API, ce qui ne facilite pas l’usage.
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Des extensions identiques gérées par des systèmes de nommage différents peuvent entraîner des réponses divergentes. C’est notamment le cas lorsque plusieurs acteurs revendiquent une même extension, comme le .wallet. Cela favorise une fragmentation du web et les risques pour les utilisateurs.
La coexistence de plusieurs protocoles pour le Web3, avec chacun leurs propres règles, complique leur interopérabilité. Même si des acteurs tentent de proposer des standards universels, comme ENS ou la Web3 Domain Alliance, d’autres souhaitent privatiser leurs solutions. Ce sont donc aux applications de s’adapter pour intégrer le système de nommage Web3 qu’ils souhaitent.
Des passerelles centralisées
Le DNS repose sur une infrastructure hiérarchique distribuée, sur laquelle l’ICANN joue un rôle clé dans la gestion des extensions (TLDs) et leur gouvernance. Les systèmes de nommage Web3, à l’inverse, sont construits sur des Blockchains, offrant une structure décentralisée. Chaque nom est directement lié à un registre distribué, supprimant les intermédiaires traditionnels.
Comme mentionné précédemment, les applications qui intègrent la résolution de noms de domaine Web3 utilisent dans la plupart des cas des fournisseurs de service (Infura, Cloudflare, Moralis, …) pour faire le lien avec la Blockchain. Ces fournisseurs constituent donc un point de centralisation sensible, mais sont aujourd’hui indispensables pour faire le pont entre le Web2 et le Web3. De plus, il est important de noter que ces résolutions via ces fournisseurs utilisent le DNS, ce qui contrevient en partie à la promesse de décentralisation mise en avant dans certaines campagnes marketing.
D’autres protocoles explorent des solutions plus natives et décentralisées pour s’affranchir de ces dépendances. Ces projets allient stockage décentralisé et CDN afin d’augmenter le niveau de décentralisation. C’est le cas de jeunes projets comme Fleek ou encore Destra Network.
Les noms de domaine Web3 peuvent être liés à des sites web hébergés sur des solutions de stockage décentralisé, comme IPFS. Des protocoles comme DNSLink permettent la résolution de noms de domaine .eth via la passerelle Limo, pour afficher un contenu hébergé sur IPFS sur un navigateur, par exemple avec https://nameshield.eth.limo. Ces méthodes permettent de déployer du contenu pour le rendre disponible et résistant à la censure. Cela a ses avantages pour des services web critiques et la liberté d’expression, mais cela permet de nouvelles formes de cybermenaces.
Une régulation européenne
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Les noms de domaine Web3, en raison de leur fonctionnement basé sur Blockchain et leur assimilation à des tokens, font face à un encadrement réglementaire spécifique en Europe. Ce cadre évolue rapidement, et les projets Web3 doivent s’adapter à un cadre réglementaire initialement conçu pour les crypto-actifs financiers.
Depuis la loi PACTE de 2019, le statut PSAN (Prestataire de Services sur Actifs Numériques) est la réglementation française en vigueur pour tous les acteurs offrants des services sur crypto-actifs. En Europe, le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) vise à encadrer ce secteur à plus haut niveau. Il est entré en vigueur depuis janvier 2025, et impose des obligations spécifiques aux acteurs Web3 :
- Audit des services proposés.
- Contrôle des flux financiers.
- Vérification accrue des utilisateurs.
Dans le cadre de la transition de la réglementation nationale à la réglementation européenne, tout prestataire offrant des services liés aux crypto-actifs, tels que la gestion, l’achat ou la vente, doit obtenir un agrément PSCA (Prestataires de Services sur Crypto-Actifs) auprès de l’AMF.
Les tokens non fongibles (NFT) sont exclus du champ d’application du règlement MiCA. Tant qu’ils ne sont pas fractionnables et assimilés à des produits financiers, ils sont soumis à la réglementation de l’actif sous-jacent. Les noms de domaine Web3, généralement représentés sous forme de NFT, ne sont logiquement pas concernés par cette régulation. Cependant, pour enregistrer et configurer un nom de domaine Web3, il est nécessaire d’interagir avec des crypto-actifs pour réaliser des transactions sur une Blockchain. D’un point de vue juridique, il est donc pertinent de se poser la question suivante: un prestataire proposant des noms de domaine Web3 en Europe doit-il se conformer à la réglementation MiCA ?
Conclusion
Depuis 2022, le marché des noms de domaine Web3 continue d’évoluer, mais vers un axe différent. Plutôt que de se présenter comme des concurrents du DNS et de l’ICANN, ces acteurs tendent à proposer des systèmes interopérables, notamment avec la possibilité d’importer ou tokeniser des noms de domaine traditionnels sur Blockchain. La volonté pour ces acteurs de se faire accréditer comme bureau d’enregistrement et de participer au prochain round de l’ICANN pour obtenir de nouvelles extensions officielles le confirme. Cette démarche vise à légitimer leur activité et à améliorer l’intégration avec le DNS, en évitant une fragmentation des systèmes de nommage.
Ce marché de niche est aujourd’hui une goutte d’eau par rapport au marché des noms de domaine traditionnels. Les noms de domaine Web3 sont principalement enregistrés par les utilisateurs adeptes des crypto-actifs et par des acteurs de ce secteur, et sont associés en grande partie à des adresses de portefeuilles, mais également à des sites web ou des applications décentralisées. Certains sont aussi destinés à la revente sur des places de marché.
Tout l’enjeu réside donc dans le développement de l’écosystème Web3 dans sa globalité, et de l’adoption des crypto-actifs. Selon une étude de l’ADAN et KPMG, de plus en plus de particuliers et professionnels utilisent des crypto-actifs et des applications Web3 en Europe. Aux États-Unis, le sujet est déjà pris en compte au niveau politique, et les entreprises de ce secteur se développent rapidement, notamment grâce à une réglementation plus souple. Le président D. Trump a annoncé au World Economic Forum 2025 sa volonté de faire des États-Unis, la capitale mondiale de l’IA et des cryptomonnaies, et a dit préparer des mesures concrètes en ce sens.
Si les applications Web3 se démocratisent dans les prochaines années, notamment via l’intégration par des acteurs majeurs, les noms de domaine Web3 seront d’autant plus utilisés. Dans ce cas, cela poussera les acteurs du Web à s’adapter pour répondre à ces enjeux, mais également à veiller aux nouvelles formes de cybermenaces.
En tant que gestionnaire de noms de domaine, Nameshield suit de près les évolutions de ce secteur et se tient disponible pour toute demande d’information complémentaire.
Etude réalisée par Steve DESPRES et Thomas LEVASSEUR.