Hambourg en Allemagne vient d’accueillir du 21 au 26 octobre dernier, le 78ième sommet de l’ICANN, l’instance de régulation d’Internet. Hambourg, ville connectée par excellence qui se classe au premier rang des villes intelligentes d’Allemagne, succède à Berlin qui avait accueilli l’ICANN2 en 1999. Cette 78ième édition a réuni plus de 1600 participants de 175 pays et territoires. Elle a également marqué les 25 années d’existence de l’instance et les 20 ans du Generic Names Supporting Organization (GNSO), l’organe qui est en charge des politiques qui s’appliquent aux noms de domaine dans des extensions génériques.
L’ICANN face à de nouveaux challenges
« Le 30 septembre 1998, l’ICANN a été créée comme organisation privée à but non lucratif dans l’Etat de Californie ». C’est par cette phrase que Tripti Sinha, la présidente du Conseil d’Administration de l’ICANN a débuté un discours dense à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de l’ICANN78. Elle y a rappelé que la plupart des outils Internet actuels, smartphones compris ont vu le jour durant cet intervalle de temps et que si « 25 années ce n’est pas grand-chose » « le monde a changé de façon remarquable » entre-temps. Aujourd’hui ce sont les contextes de guerres et les transformations technologiques avec notamment « l’intelligence artificielle et la technologie quantique » qui constituent d’importants challenges pour le modèle multipartite. On pourra y ajouter les alternatives aux noms de domaine qui utilisent le DNS comme les domaines sur les blockchains qui sont en marge du périmètre de l’ICANN. Ceux-ci ont d’ailleurs été mis en lumière durant l’ICANN78. Leurs protagonistes se plaisent à les nommer « noms de domaine » alors que d’autres voudraient les différencier en parlant plutôt de « wallet domains ». La Présidente intérimaire de l’ICANN, Sally Costerton a pour sa part appuyé son propos sur « la confiance », « la confiance » qui « est une chose fragile » « difficile à construire et facile à perdre ».
Sur le terrain de la confiance, Sally Costerton a précisé lors d’une session de questions réponses du Conseil d’Administration de l’ICANN, que des sujets importants ont connu des avancées notables depuis sa nomination en décembre 2022. Ainsi en mars de cette année, s’est par exemple tenue la première journée internationale de l’Acceptation Universelle ou comment rendre Internet plus inclusif et donc plus proche de ses utilisateurs. Lors du sommet ICANN76 également en mars, la tenue d’une prochaine série de nouvelles extensions génériques a été confirmée. Plus récemment c’est le Registration Data Request Service (RDRS), un prototype du futur Système Standardisé d’Accès aux Données d’enregistrement des noms de domaine (SSAD) pour des demandes légitimes, qui a été lancé. Et l’année 2023 aura permis d’aboutir à une proposition concrète de renforcement des moyens de lutte contre les usages abusifs du DNS après des années d’échanges stériles. Actuellement, une proposition de révision des contrats des opérateurs de registres et des bureaux d’enregistrement est en effet soumise aux votes des parties concernées pour une adoption espérée entre décembre 2023 et janvier 2024.
La Registration Data Policy libérée délivrée
Le fait que l’ICANN représente de nombreuses sensibilités dont les intérêts sont souvent divergents mais aussi qu’elle fonctionne avec le consensus comme totem, explique en partie que la ligne d’arrivée est souvent bien éloignée temporellement de la ligne de départ. La Registration Data consensus Policy n’a pas échappé à cette réalité. Cette politique vise à remplacer une Specification Temporaire implémentée en urgence le 17 mai 2018, huit jours avant l’entrée en vigueur du Règlement Général de la Protection des Données (RGPD) et cela pour intégrer des exigences du RGPD dans l’écosystème du DNS. La Registration Data consensus Policy est l’aboutissement de la phase 1 d’un Processus de Développement de Politique (PDP) initié à cette occasion. Alors qu’un rapport final en vue de son implémentation a été délivré au début de cette année, c’est l’ICANN78 qui a permis de conclure les travaux de l’équipe chargée de son implémentation. Le point bloquant sur la formulation liée aux délais accordés aux opérateurs pour adresser des demandes urgentes d’accès aux données d’enregistrement dans le cas de besoins légaux, a en effet été levé. Cette politique qui a désormais un cadre pérenne va donc passer en phase d’implémentation chez les parties concernées, les opérateurs de registres et les bureaux d’enregistrement.
Le prochain round de nouvelles extensions génériques
La prochaine série de nouvelles extensions génériques est restée un autre sujet majeur de cette édition. Si l’ICANN met désormais en avant la date d’avril 2026 pour la tenue de la prochaine fenêtre de candidatures (ndlr : la précédente fenêtre a eu lieu entre janvier et avril 2012), l’ICANN78 a mis en lumière l’avancée des travaux d’implémentation des recommandations issues du Processus de Développement de Politiques dit « PDP Subpro » (ndlr : Subsequent Procedures). En mars, une trentaine de recommandations n’avaient pas été adoptées par le Conseil d’Administration de l’ICANN et renvoyées à l’instance des politiques génériques, le GNSO pour des clarifications. Grâce au travail d’une petite équipe, 12 recommandations supplémentaires viennent d’être adoptées par le Conseil d’Administration de l’ICANN, portant à 104 les recommandations adoptées. 13 restent en balance et 7 ont été rejetées. Pour ces dernières, il va falloir évaluer leur impact et considérer des remédiations. L’équipe d’implémentation peut donc avancer sur un peu plus de 80% des recommandations issues du PDP Subpro. Le guide révisé des futurs candidats avance pour sa part conformément aux prévisions initiales avec une première version qui doit être dévoilée fin mai 2025.
La question des extensions génériques fermées et des lettres diacritiques
Considérées mais non proposées faute de consensus en 2012, puis discutées pendant cinq années, les extensions génériques fermées ont été relancées en 2022 dans la perspective d’une nouvelle série d’extensions génériques. Dans la pratique, il s’agit de permettre à des organisations sous certaines conditions d’exploiter un terme générique (ndlr : par exemple .CHARITY) avec les mêmes droits qu’une extension de marque. L’accès à l’extension pour y créer des nouveaux noms de domaine serait donc très restreint. Il y a un an, un groupe d’échanges regroupant le Governmental Advisory Committee (GAC) qui représente les gouvernements, At-Large Advisory Committee (ALAC) qui représente les utilisateurs finaux et le GNSO, avait été lancé pour tenter d’adresser ce sujet. Ils ont proposé en juillet dernier, un cadre qui détaille les nombreux aspects à considérer pour introduire ce nouveau type d’extensions. Cependant à l’issue de leurs travaux, chaque instance a adressé séparément une lettre au Conseil d’Administration de l’ICANN, preuve que les positions des unes et des autres sont restées éloignées. Sauf surprise, il ne devrait donc pas y avoir d’extensions génériques fermées lors de la prochaine série.
Le Québec dont le .QUEBEC a été intégré à la racine du DNS en avril 2014, s’est pour sa part également invité dans les discussions concernant la prochaine série de nouvelles extensions génériques. En effet en 2012, le Québec avait fait part de son souhait d’obtenir le .QUEBEC ainsi que le .QUÉBEC. S’ils n’ont finalement candidaté que pour la version non-accentuée, ils espéraient pouvoir également utiliser le .QUÉBEC. Ce droit d’exploitation ne leur a pas été accordé en raison d’un risque de similitude. L’ICANN78 a mis en lumière le fait que les perceptions restent différentes selon le fait que .QUÉBEC serait ou non une variante de .QUEBEC. En effet leur prononciation pour les francophones est la même mais la présence d’une lettre diacritique (ndlr : lettres auxquelles sont ajoutées dans la langue française des signes tels que l’accent aigu, l’accent grave, l’accent circonflexe, le tréma et la cédille) rend l’encodage en caractères ASCII différente et techniquement faisable. Si leur requête a peu de chance d’aboutir, cela a aussi permis de porter l’attention sur des sujets importants pour les exploitants d’extensions où les réponses apportées sont souvent inadaptées à leurs besoins.
Rappelons que l’ICANN78 a constitué le dernier sommet annuel de l’ICANN. Les regards se tournent donc désormais vers 2024. Une nouvelle année en approche qui verra ou non aboutir les amendements contractuels des contrats de registres et des bureaux d’enregistrement avec des obligations spécifiques pour remédier aux usages malveillants, la poursuite des travaux d’implémentation de la prochaine série d’extensions génériques, la mise sur orbite d’une revue holistique de l’ICANN ou encore la perspective d’une fin programmée du protocole Whois en 2025.
Pour les européens et les sociétés opérant sur le territoire européen, c’est la directive NIS2 qui va cristalliser toutes les attentions car elle doit être transposée dans les lois nationales des Etats membres d’ici à octobre 2024. Sur ce sujet, les représentants de l’ICANN ont indiqué lors du traditionnel Forum Public de clôture que les politiques dans les extensions génériques ne sont pas « en contradiction avec la directive NIS2 et que les parties concernées ont la latitude pour mettre en service des mesures pour se mettre en conformité ». Sur ce sujet, on pourra saluer le European Top Level Domain Information Sharing and Analysis Center (European TLD ISAC) qui va être un maillon utile pour implémenter la directive NIS2 dans l’industrie des noms de domaine.
Nameshield, société européenne indépendante certifiée, ISO 27001 depuis 2017, va œuvrer en conformité avec la directive et aura à cœur de limiter au maximum l’impact de son application dans les formalités de ses clients.
Enfin sur les aspects de leadership, l’instance des extensions génériques, le GNSO a désormais une nouvelle équipe désignée lors de l’ICANN78, tandis que l’organisation ICANN Org va elle désigner en 2024, un nouveau visage pour assumer sa présidence. Rendez-vous l’année prochaine.
Source de l’image : Site de l’ICANN